COVID-19 et l’effondrement du secteur privé de la santé : une menace pour les efforts des pays pour répondre à la pandémie et le futur du renforcement des systèmes de santé ?
Alors que le COVID-19 mène à une réduction des liquidités pour les pays en voie de développement, Mark Hellowell, Andrew Myburgh, Mirja Sjoblom, Srinivas Gurazada, et Dave Clarke considèrent les risques et opportunités de fournir des fonds publics pour soutenir les entreprises de santé.
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L’OMS appelle tous les gouvernements à adopter une approche pangouvernementale intégrant l’ensemble de la société dans la réponse à la pandémie de COVID-19. Entre autres, cela requière que les décideurs politiques incluent le secteur privé de la santé dans leurs efforts pour contenir, contrôle et mitiger l’impact de l’épidémie. Cependant, des données recueillies lors d’une série d’entretiens avec des informateurs clés de 12 pays à bas et moyen revenu (Ethiopie, Kenya, Nigeria, Ouganda, Afrique du Sud, Thaïlande, Inde, Sri Lanka, Pakistan, les Philippines, la Corée du Sud, l’Iran) ont mis en avant un constat surprenant. Alors que la pression sur les pays augmente pour augmenter la capacité de leurs systèmes de santé, des mesures visant à « aplanir la courbe » ont réduit la demande pour des soins de santé et créer une réduction des liquidités pour le secteur privé de la santé – forçant certains prestataires à réduire leurs affaires et parfois à renvoyer des professionnels de santé.
Il y a un risque que la situation mène à des faillites de grandes ampleurs auprès des fournisseurs privés de soins de santé. La tension est particulièrement forte pour les petites et moyennes entreprises (PME) (ex. les praticiens de soins de santé primaire, les hôpitaux communautaires, les laboratoires individuels, les pharmaciens au détail), beaucoup n’ayant que peu de chances de survivre à la pandémie sans assistance financière supplémentaire. Cela va sans doute avoir des implications majeures dans les systèmes de santé – surtout dans les pays à bas et moyen revenu où les fournisseurs de soins de santé privé jouent un rôle majeur pour fournir des produits et services de santé à la population, y compris aux personnes les plus pauvres.
Pour beaucoup de pays, la menace visant l’offre de soins de santé ne pourrait pas arriver à un pire moment. Les tentatives actuelles pour assouplir les restrictions liées au confinement peuvent générer une augmentation de la demande pour deux raisons :
- augmentation du nombre de cas de COVID-19 (l’OMS a estimé que le COVID-19 va mener à entre 3.6 et 5.5 millions d’hospitalisations supplémentaires dans la région AFRO), et
- augmentation générale des besoins en soins de santé. A ce sujet, il est connu que beaucoup de patients – y compris ceux avec des problèmes de santé urgents – n’ont pas pu ou n’ont pas voulu aller dans des établissements de santé pour plusieurs semaines. Il est probable qu’ils vont s’y rendre en nombre quand ce sera perçu comme étant sure et légal de le faire, mais dans de nombreux cas ces établissements opéreront avec des capacités limitées.
De plus, il va probablement y avoir des conséquences sur le long terme suivant la fermeture d’établissements de santé. L’impact sur l’accès aux médicaments essentiels, ainsi que les soins de santé primaire et secondaire, est sévère, et peut potentiellement limiter de futurs efforts pour atteindre la couverture de santé universelle dans les pays à bas et moyen revenu.
Examiner le problème
Comme le propriétaire d’un hôpital – appartenant à la catégorie des PME – nous l’a dit « c’est une terrible période pour être dans le business des soins de santé… la circulation piétonne est en baisse et nous ne pouvons pas être approvisionné du fait des fermetures de frontières. J’ai renvoyé mon personnel… Je ne suis pas sûr de pouvoir rester dans ce business ». Nous avons entendu des témoignages similaires de propriétaires et de manageurs d’entreprises venant d’autres pays – des pays à bas et moyen revenu en Afrique et dans l’Asie du Sud et du Sud-Est. La Fédération Africaine pour les Soins de Santé, une association d’entreprises du secteur privé de la santé en Afrique, confirme ce constat, rapportant que les revenus des hôpitaux privés ont baissé d’en moyenne 40% en mars.
De plus, la Société Financière Internationale (IFC), qui a annoncé un mécanisme de deux milliards de dollars US pour répondre à la crise du secteur réel pour ses clients dans un certain nombre d’industries - incluant le secteur de la santé, a reçu des retours de fournisseurs en Asie et en Amérique Latine indiquant qu’ils ont connu une réduction de leurs revenus entre 50 et 75% par rapport aux années précédentes. Cela est dû à une variété de raisons qui influent sur ce problème.
Les éléments suivants ont été soulignés par nos informateurs :
- les règlementations des gouvernements requièrent les établissements de santé de repousser les chirurgies non-urgentes et les services de santé ambulatoires – souvent pour une période indéfinie (note1);
- du fait des conditions de confinement, beaucoup de patients ne sont pas en mesure d’aller dans les cliniques et les hôpitaux – et dans certains cas ils ne veulent pas y aller, par peur d’attraper le COVID-19 (note2);
- les hôpitaux privés doivent dépenser plus que d’ordinaire pour des équipements de protection personnelle, capacité d’isolement, et fournitures pour le traitement des maladies respiratoires, augmentant leurs frais ;
- les perturbations économiques dues à la pandémie ont réduit la couverture assurantielle et en général la capacité et la volonté des individus de payer pour des soins de santé ; et
- les entreprises d’assurance privées ont retardé le règlement des réclamations afin de protéger la viabilité de leurs entreprises.
Il y a un argument selon lequel les entreprises du secteur privé de la santé doivent prendre le relais et aller de l’avant - gérer les risques visant leurs flux de trésoreries en changeant leurs fonctionnements, par exemple en intensifiant le traitement des patients atteint du COVID-19 ou en fournissant plus de services en ligne. Cependant, ces mesures ne seront probablement pas suffisantes pour surmonter un problème si complexe - un problème qui a de multiples causes, du côté de la demande et de l’offre, et qui est sans précédent en termes d’ampleur et de sévérité. Peu d’entreprises peuvent s’en sortir face à de tels risques. Des faillites généralisées dans le secteur privé de la santé est une possibilité dans de nombreux pays à bas ou moyen revenu. Un problème comme celui-ci ne sera sans doute pas résolu sans interventions en dehors du marché.
Identifier les opportunités
De nouvelles formes de support, comme le mécanisme de l’IFC pour répondre à la crise du secteur réel ainsi que le support public – incluant des prêts, des garanties, des subventions – sont nécessaires afin de sécuriser le capital de travail des entreprises et permettent de reprogrammer le paiement des dettes afin de ne pas être mis en défaut. Cependant, les gouvernements doivent protéger leurs propres intérêts également. A l’heure actuelle, il n’y a pas d’analyse claire sur quelles conditions peuvent être appliquées à ce support public. Dans ce contexte, on manque une opportunité d’améliorer la réponse nationale et de construire un nouveau contrat social entre les secteurs publics et privés de la santé - un élément crucial pour la réalisation des Objectifs de Développement Durable, comme la Couverture de Santé Universelle.
Dans certains cas, les états peuvent veiller à ce que les contribuables puissent bénéficier en retour du support reçus par les entreprises, une fois que celles-ci recommencent à faire du profit, par exemple en prenant des participations au capital dans ces entreprises. Dans certains pays, cela peut aider à convaincre une population qui serait sinon plutôt sceptique. L’appui du public peut également augmenter si le support des pays se fait de manière conditionnelle, avec en contrepartie des changements concernant l’opération de ces entreprises afin qu’elles supportent des objectifs de santé publique – par exemple, assurer que certains segments de la population, qui dans le passé n’ont pas pu accéder à des soins de santé payants, peuvent le faire dans le futur, ou au moins durant l’épidémie de COVID-19.
Quand les états, ou les agences d’assurance sociale supportées par l’état, financent déjà des entreprises du secteur privé de la santé via des financements de l’offre ou de la demande, les décideurs politiques peuvent trouver cela plus simple que les décideurs politiques travaillant dans d’autres contextes d’assurer un certain retour sur investissement. Les autorités dans ces contextes-là devraient déjà avoir une certaine notion de quels sont les fournisseurs qui sont important afin de répondre aux besoins de la population ; et ont les systèmes de qualité en place afin de fournir des soins santé surs et efficaces (note3). Trouver les approches stratégiques appropriées – ex. passer des paiements basés sur le volume aux paiements fondés sur la disponibilité – doivent également être assez direct et simple.
Cela a l’avantage de soutenir les fournisseurs à un moment ou une large partie de leurs actifs, employés et stocks sont inactifs, tout en s’assurant qu’ils soient capables de déployer ces ressources rapidement si et quand l’augmentation de la demande pour les soins de santé arrive. Les acheteurs peuvent aussi avoir besoin de faire des ajustements dans leurs accords d’achat avec les fournisseurs afin qu’ils correspondent à la nouvelle réalité – par exemple, étendre les remboursements afin de couvrir plus de prestations, comme les services fournis en ligne.
Dans d’autres pays, la résolution effective de ce problème peut exiger que de nouvelles formes d’engagement entre les secteurs émergent. Et, peu importe la forme de soutien qui est privilégiée, il est essentiel que des critères clairs soient développés pour déterminer qui obtient quoi. Un principe central est que les décideurs politiques aux niveaux national et global devraient prioriser les investissements dans les établissements de santé qui peuvent fournir le meilleur qualité-prix. Sans de tels critères, il est possible que les fonds publics soient mis-alloués, avec des entreprises bien connectées et influentes politiquement qui se verraient prioriser afin d’obtenir ces fonds. D’autres – y compris des établissements qui jouent un rôle plus important dans la fourniture de soins de santé à la majorité de la population et dans la réussite des objectifs de santé publique – y perdront.
Cela peut saper les efforts de confinement et de mitigation lors de la pandémie de COVID-19, qui entre maintenant dans une phase critique dans les pays en voie de développement, et peut avoir des effets délétères sur l’accès équitable aux soins de santé sur le long terme.
Atténuer les risques
Le besoin d’agir vite signifie que les agences n’ont peut-être pas le temps de mettre en œuvre des processus standards, et doivent se baser sur des approches d’urgence afin de fournir des subventions. Cela, cependant, ouvre la porte à la corruption, au gonflement artificiel des prix, et à la fourniture de soins de santé de faible qualité, menant à une morbidité et mortalité évitable. Les gouvernements doivent être transparents dans les détails du support public et doivent surveiller qui en bénéficie, et dans quelle mesure (ex. en termes de revenus / profits). Si possible, ces informations doivent être mise dans le domaine public et soumise à des sources indépendantes, y compris pour l’analyse des institutions officielles d’audit. Le gouvernement doit aussi faire attention à surveiller la performance de ces accords et en publier les résultats.
Dans le contexte d’achat d’urgence, il y a de bonnes raisons pour le gouvernement de réduire l’accès aux contrats aux fournisseurs avec des antécédents montrant qu’ils délivrent constamment des soins de santé de qualité. Quand des accords d’achats stratégiques existent déjà, c’est probablement plus facile car les processus en place d’accréditation doivent pouvoir confirmer quels fournisseurs ont les systèmes en place ou non.
Mais dans d’autres contextes, aussi, le processus d’engagement des entreprises de santé afin qu’elles fournissent leurs soutiens doit être utilisé comme un moyen d’établir plus de responsabilité et de partage d’information entre les autorités publiques et les fournisseurs privés. Les décideurs politiques font face à un problème énorme et urgent. Cela demande aux gouvernements d’engager avec et de chercher à mitiger les risques dans la définition d’une solution urgente. Pour autant, une opportunité existe d’établir une nouvelle approche intégrant l’ensemble de la société afin de faire face aux besoins de santé de la population – une approche qui va renforcer les capacités des pays à répondre à la pandémie de COVID-19 mais aussi, peut-être, sur le plus long terme, va renforcer le dialogue public-privé et les échanges d’information afin de construire des systèmes de santé plus solides, afin que les pays puissent rapidement reprendre leur élan vers la Couverture de Santé Universelle.
Post-Scriptum
Ce blog pose un certain nombre de questions importantes, y compris :
- Si le support des états et des donneurs doit être rendu disponible au secteur privé de la santé.
- Quels conditions, critères et priorités doivent être appliqués dans l’attribution du support.
- Quels risques se manifestent dans la fourniture du support de l’état et des donneurs et comment les gérer.
- En quoi consisterait un nouveau contrat social entre les secteurs publics et privés de la santé, comment il contribuerait aux efforts sur le long terme des pays afin de parvenir à la CSU et comment il pourrait être mis en œuvre.
Afin de fournir des conseils à nos états membres et aux donneurs potentiels, l’OMS planifie d’organiser une réunion d’experts et d’acteurs clés et d’utiliser un processus Delphi afin de fournir des réponses rapides à ces importantes questions.
David Clarke, OMS, Genève
Ce blog est un produit de l’Initiative de l’OMS pour le Secteur Privé de la Santé pendant le COVID-19 (WHO-PCI).
Notes
1 Par exemple, en Inde, plusieurs centaines d’hôpitaux privés ont été désignés en tant qu’établissements COVID-19. Ils ont été forcés sous une législation d’urgence d’annuler les opérations non-urgentes afin de garder leurs ressources et capacités pour faire face à l’augmentation anticipée de la demande liée au COVID-19. Cependant, cette augmentation n’a pas encore eu lieu (le pays a pour l’instant un faible nombre d’hospitalisations) et le flux de revenus n’est pas arrivé.
2 Par exemple, dans des pays avec des institutions d’assurance sociale en place, comme au Ghana, au Kenya et aux Philippines, de larges portions du secteur privé sont accréditées pour fournir des services gratuitement ou de manière subventionnée aux individus assurés. Cependant, les restrictions liées au confinement ont mené à un manque de demandes et à des paiements repoussés venant des assureurs – diminuant le flux de revenus pour les fournisseurs.
3 Les décideurs politiques dans certains pays à haut revenu agissent sur cette opportunité. Aux USA, le Congrès a récemment passé une législation qui fournit $175 milliards de fonds d’urgence aux organisations de santé. Le 10 avril, le département de la santé et des ressources humaines a commencé à débourser des fonds à toutes les organisations de santé qui ont reçu des paiements de Medicare en 2019.
Contributeurs
David Clarke, Organisation Mondiale de la Santé
David Clarke est un juriste en santé publique. Il tient la position de conseiller senior en système de santé à l’OMS (Genève). David travaille sur trois domaines : utiliser la loi et la régulation pour mettre en œuvre la Couverture de Santé Universelle (CSU), soutenir les pays à engager stratégiquement le secteur privé au service de la CSU, et développer des approches préventives pour mitiger les risques de corruption dans les systèmes de santé.
Dr Mark Hellowell, Université d’Edimbourg
Mark est le directeur de l’unité de politiques de santé globale à l’université d’Edimbourg, l’une des 20 meilleures universités au monde. Le travail du Dr Hellowell se concentre sur l’amélioration de l’engagement public-privé dans le domaine du financement et de l’exécution des soins de santé. Il est l’auteur de plus de 30 publications scientifiques révisées par des paires, principalement sur ce sujet, son travail figurant dans des médias importants de la presse papier et audiovisuelle, telle que le Financial Times, The Economist ou la BBC. Il était le conseiller spécial du Comité du Trésor du Parlement Britannique, et a travaillé avec la Banque Mondiale, DfiD, et le Mécanisme de Financement Mondial afin de renforcer les capacités de décideurs politiques clés qui souhaitent mobiliser le secteur privé de la santé afin de préciser leurs progrès vers la Couverture de Santé Universelle.
Mirja Sjoblom, Mécanisme de Financement Mondial (GFF)
Mirja travaille en tant qu’économiste senior au sein du Mécanisme de Financement Mondial (GFF), sur des sujets tels que les reformes du financement de la santé et de l’exécution des soins de santé. Son expertise s’est construite sur 15 ans au travers de missions avec la Banque Mondiale en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. Elle co-dirige la collaboration de GFF avec la « Pratique de Gouvernance Mondiale » afin d’améliorer la gouvernance et la gestion des finances publiques dans les pays soutenus par GFF. Elle a obtenu un master en économie et commerce international à la Stockholm School of Economics, est candidate à un doctorat en politiques de santés à l’université d’Edinbourg (faculté du cours « Management des Marchés de Santé ») et a publié de multiples articles et co-écrits des livres sur des sujets tels que les systèmes de santé, la migration internationale et le genre.
Srinivas Gurazada, Banque Mondiale
Srinivas est un professionnel de la gestion des finances publiques travaillant au sein de la Banque Mondiale en tant que spécialiste de la gestion des finances. Il fait partie du service d’audit et de comptabilité de l’Inde (IAAS), premier service public du gouvernement indien. Srinivas travaille à la direction exécutive de l’organisation du contrôleur et auditeur général de l’Inde. Dans le passé, il a travaillé en tant que conseiller expert pour le vice-président de l’institution d’audit d’état du Sultanat d’Oman à Mascate. Il est un professionnel de la gouvernance du secteur public avec des compétences clés concernant l’administration publique, la comptabilité, l’audit et les systèmes d’informations. Srinivas a également travaillé sur des sujets liés à la formulation des politiques, à la gestion du changement et au renforcement des capacités. Il enseigne dans des institutions réputées en Inde et à l’étranger. Il a mené plusieurs travaux pour des organisations internationales de l’ONU – comme la FAO, l’OMS, INTOSAI, IDI etc. Il a également travaillé en tant que conseiller technique pour le conseil des normes comptables internationales du secteur public (IPSAS). Srinivas est expert dans la formulation de standards de comptabilité gouvernementale, et dans la mise en œuvre et la migration vers la comptabilité d’exercice au gouvernement. Il est également spécialisé dans la gestion de portefeuille, l'analyse des investissements et les questions de responsabilité liées au capital investissement.
Andrew Myburgh, Société Financière Internationale (IFC)
Andrew travaille sur les questions liées aux politiques de concurrence au sein de la « Pratique d’Investissement Global sur le Climat » à Washington. Son travail consiste à conseiller les gouvernements sur la manière de renforcer la concurrence dans leurs économies en améliorant l'efficacité de leurs cadres antitrust et en réformant les réglementations. Andrew est titulaire d'un master de la Harvard Kennedy School. Auparavant, il a travaillé en tant que consultant économique chez Genesis Analytics en Afrique du Sud, où il a fourni des conseils économiques aux gouvernements et aux grandes entreprises sur les affaires antitrust et a aidé à la réforme de la réglementation.
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